Au loin, quelques chevaux, deux plumes…
Roman. Pour adulte
Au loin, quelques chevaux, deux plumes… de Jean-Louis Milesi. Les Presses de la Cité, 2023. 470 p.
Photographier les Indiens. C’est le rêve de gosse de Edward Sheriff Curtis. En 1900, harnaché de son encombrant matériel, il quitte Seattle pour le Montana. L’inconfort du voyage, la difficulté de l’entreprise et le danger iront croissants. Mais il va assister à une danse sacrée, rite bientôt définitivement interdit par les Blancs, comme tout ce qui a trait au mode de vie des Indiens d’Amérique...
En novembre 1862, dans le Minnesota, les Indiens Dakotas sont déplacés « de Fort Ridgely à Fort Snelling (...). Deux cents kilomètres de marche par moins dix degrés (…). Un convoi de mille six cent cinquante-huit Indiens (…), une colonne sans fin (…) serpentant » dans le blizzard. *
Astreint à la « longue marche », Mika Ohiteka fait partie de cette tribu fantôme. Il est alors âgé de dix ans.
* pour des événements similaires concernant les Cheyennes, en 1878, voir « La Dernière Frontière », de Howard Fast, chez Gallmeister, roman dans lequel des articles de journaux d’époque, en postface, attestent de la véracité des faits développés.
« Les Sioux n’existent pas »
« Nadouessioux » était un « terme vulgaire pour désigner un ennemi (…). Dans la bouche de (…) trappeurs français, nadouessioux devint sioux ». Cette appellation regroupe « les Lakotas, les Nakotas et les Dakotas ».
Un peu plus tôt, floués, spoliés, les Dakotas se révoltent, tandis que dans des états voisins, la Guerre de Sécession (avril 1861-avril 1865) fait rage.
Quelques mois plus tard, toujours dans le Minnesota, alors que la rébellion a été bien vite matée, « des bateaux affluent, bourrés à craquer » de passagers, par centaines, pour assister à l’exécution de « trente-huit Dakotas » - qui eurent été trois cent trois (!!!) sans l’intervention de Lincoln - condamnés suite à cette insurrection et après un simulacre de procès à être « pendus par le cou jusqu’à complète suffocation ».
« Peuple. Clic-clac dans réserve »
Dans les villes, le sol est de poussière. Ou de boue. Les mois d’hiver, jetées « à-la-va-comme-je-te-pousse », instables, des planches de bois permettent d’y progresser en équilibre relatif. « Des remugles (…) se fondent dans la puanteur persistante. Un mélange de viande, de poisson et de coquillages en décomposition. Mêlé à l’odeur des champignons(…) et aux âpres fumées des cheminées (…) ».
Les Indiens ont interdiction d’y vivre, peut-on « lire dans l’arrêté municipal du 7 février 1865 ». Ils sont parqués dans des réserves ; les termes « purification ethnique » et « déportation » sont employés dans ce récit. Pourtant, beaucoup de ces villes ou de ces états portent les noms d’anciens chefs vaincus, comme ici celui de Si’ahl, « anglicisé (…) pour le donner à la ville de Seattle » ; ainsi les Manhattes, habitants de la future île de Manhattan, ou Minnesota, nom donné par les Dakotas à une rivière, qui dans leur dialecte, le chinook, signifie Eau Couleur de Ciel, etc...
Mais il leur est désormais interdit même de parler leur langue ancestrale !
« Une civilisation de milliers d’années est en train de disparaître sous nos yeux »
En 1900, Edward Sheriff Curtis quitte Seattle pour aller photographier des étourneaux dans le Nebraska. Il doit y retrouver George Crinnell, son ami et éminent « anthropologue aux multiples casquettes ». De là, tous deux rejoindront ensuite « la réserve des Pieds-Noirs pour assister à (…) La Danse du Soleil », au nord du Montana. De ce culte sacré, personne, jamais, n’a obtenu le moindre cliché. « Parce que les cérémonies sont interdites !* Elles vont disparaître, terminées ! Je serai le seul à les avoir photographiées ». L’armée, s’en servant de prétexte, « était allée les massacrer à Wounded Knee », en 1890, lorsque les Lakotas avaient dansé…
* par les Affaires indiennes ; de même la danse du scalp, celle de la guerre… « Les contrevenants risquent une peine de prison et la suspension temporaire de leurs rations alimentaires. En contradiction avec le premier amendement à la Constitution des États-Unis de 1791 qui stipule que " le Congrès ne pourra faire aucune loi relative à l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice " ».
Photographier les Indiens
Comme « le bourgeois de Seattle » - harnaché de son fort encombrant matériel – part seul rejoindre Crinnell, le danger ne tarde pas à prendre le pas sur l’inconfort et la rudesse « de ce long périple ». Sa route croise inopportunément celle de Henry. La situation est terrible, grotesque. Et, si en compagnie du renégat « au regard impassible » le danger s’éloigne, Curtis n’en demeure pas moins vulnérable, l’univers hostile et l’ampleur de la tâche qu’il s’est fixé gigantesque ; son rêve de gosse : photographier les derniers Indiens...*
* pour mémoire et hors récit, Geronimo est décédé le 17 février 1909
Fred.